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Texte de Mehdi Brit

 

 

BENJAMIN PARE // Le passage du mot à l'acte

 

Parmi la multitude d'exercices et de tentatives qui répondent au laboratoire d'un artiste, certains participent à la construction d'un langage institué sous la forme d'un jeu. Si les mains s'amusent, les mots constituent des résonances pour le joueur, des fractions où s'immiscent le doute. Le public, appelé à suivre le déroulé du jeu, est encouragé à récupérer les indices laissés par l'hôte pour fabriquer son propre récit. Si la démarche n'est pas nouvelle, Benjamin Paré se lance à l'assaut d'un lieu à investir, d'un espace à méditer par la puissance et la fragilité du mot.

 

Conséquences hasardeuses et protocoles rigoureux articulent la rencontre de plusieurs éléments formels qui alimentent la chevauchée de l'artiste. Héritier des expériences dadaïstes et des impulsions poétiques apparues au cours des années 1960, on reconnaît dans la pratique de Benjamin Paré, le dessin d'une poésie qui ouvre ses bras au hasard et à la passion d'un flirte entre l'action et le mot. En somme, la recherche d'une matière qui se dénude dans un bain dialectique, oriente les enjeux plastiques de son oeuvre vers une composition visuelle qui prend vie par la présence du corps, la frénésie de ses déplacements et l'humour qui déambule en silence.

 

Dans les confins d'un espace déjà habité, les désirs de construction ébauchés par le geste et la proposition d'une écriture suspendue par l'action, ne sont pas sans rejoindre le spatialisme défini par le poète et théoricien Pierre Garnier au cours des années 1960 : «La langue se présente donc devant le poète comme une « matière » à exploiter poétiquement, matière plus ou moins dense, ensemble de signes plus ou moins espacés, plus ou moins énergétiques[1] ». L'artiste, écrivain de ses rêves, architecte de sa performance, devient ce praticien de l'indicible qui apporte toute la particularité d'une couleur par l'appréhension du mot. L’objectif est de restituer la poésie à son corps matériel par la concrétisation des mots, des espaces, des couleurs, des intervalles et des rythmes : « Le poète n’est plus l’inspiré, il est le constructeur : pour lui l’esthétique rejoint la technique[2]».

 

Benjamin Paré convie à regarder les jeux de miroirs qui s'opèrent entre les différents éléments posés dans l'espace comme autant de personnages qui tentent de dérouler précieusement le fil de l'histoire sans en révéler la magie finale. Jeter les pierres sans relâche sur un piano, copier sans y parvenir une phrase inscrite sur un modèle, gonfler des ballons de baudruche scotchés à des morceaux de verre pour jouer de la batterie, soulèvent les signes d'une scène vivante où le bruit est convoqué comme une seconde voix en réponse aux questionnements posés par l'artiste. Ainsi, le dialogue annoncé dans la narration de l'action opère un voyage aussi bien visible dans le live par la fabrication d'un récit en chair et en os, qu'un théâtre alliant cynisme et ridicule révélé par toute une typologie de postures telles que le faussaire, l'anti-héros ou le joueur.

 

Benjamin Paré a continué sa route sur des terrains plus propices au songe où l'énigme à recueillir dans ses actions, se lit dans le tracé de quelques signes laissés dans le paysage naturel. Deux volumes de terre ont été extraits, déplacés puis enterrés. Ils recouvrent les grands paramètres de cette œuvre qui a pour titre : Canular géologique et quelques lignes descriptives accompagnées de deux documents photographiques - preuves résiduelles qui attestent le passage à l'acte de l'artiste. C'est peut-être à cet endroit précisément que se cache toute l'exaltation du travail de Benjamin Paré. Attraper dans la subtilité d'un échange, la rencontre possible entre deux maillons formels afin d'encourager de nouveaux raisonnements sur la chair d'un quotidien qui ne fait pas toujours sens chez l'homme. Et les mots de Robert Filliou sonnent comme un écho à proximité : « je pense que la chose la plus importante, l'une des plus importantes qui s'est passée dans l'art moderne, c'est que la poésie a fait irruption dans l'art »[3].

 

[1]    Pierre Garnier, Spatialisme et poésie concrète, Paris, Gallimard, 1968, p.12

[2]    Pierre Garnier, op.cit, 1968, p.12

[3]    Robert Filliou, entretien réalisé par Jacques Donguy à Peysac Le Moustiers, le 25 mars 1981, publié in Jacques Donguy, Le geste a la parole, Paris, Ed. Thierry Agullo, 1981, p. 47

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